dimanche 31 janvier 2010

3. Dark Lolita











Le Dark Lolita, scabreux love hotel tokyoïte situé en face du Moon Palace, à deux pas de la bibliothèque de Babel, était un lieu de désoeuvrement et de luxure pour les cadres, les intellectuels, les petits commerçants, les bons pères de famille, les rejetés, les mal-famés, les emmerdeurs, les patrons, les étudiants -  toute une racaille en mal de nourriture terrestre qui cherchait un moyen de diluer la semaine entre les hanches d'une somptueuse négresse. Nul n'y entrait sans y laisser une part de son âme. Nul ne s'en repentait.

L'entrée du Dark Lolita, deux grandes portes noires glacées, débouchait sur un rideau de velours cerise volontairement kitsch. Discrétion assurée. Au-dessus, une affiche en néon clignotait comme une canne de bonbon au rythme des visites : Blanc-libre/ Rouge-occupé. Derrière le rideau, une console à écran tactile offrait deux options:

1. Si vous êtes accompagné, appuyez sur A. Indiquez la durée de votre séjour; insérez le nombre de Kao (des billets à l'effigie de la présidente Kao***) nécessaire dans la fente indiquée à cet effet; choisissez la thématique de votre chambre; appuyez sur Ok. N'oubliez pas de prendre la carte émise. Elle vous permettra d'ouvrir la porte de votre chambre: DL-17.

2. Si vous êtes seul, appuyez sur S. Choisissez l'une des demoiselles qui apparaissent à l'écran; après avoir choisi, appuyez sur son visage; attention le coût de la demoiselle peut varier selon son expérience et la couleur de ses yeux; si vous acceptez le taux horaire de la demoiselle, indiquez la durée de votre séjour; insérez le nombre de Kao nécessaire dans la fente indiquée à cet effet; choisissez la thématique de votre chambre; appuyez sur Ok. N'oubliez pas de prendre la carte émise. Elle vous permettra d'ouvrir la porte de votre chambre: DL-26. Attention! La différence entre l'image qui apparaît sur la console et celle de la demoiselle en personne peut créer une déception ou une surprise chez le client. Dark Lolita n'est pas responsable de votre choix et ne peut, d'aucune façon, vous rembourser.

À Kaosopolis, l'être le plus répugnant pouvait, avec quelques billets à l'effigie de Kao, se payer une partie de plaisir mémorable dans une chambre thématique, modifiée en jungle, en plage avec vue sur mer, en ciel étoilé, parfois avec une prison intégrée, des menottes, des fouets. On y trouvait même une chambre capitonnée, dont le plancher entièrement matelassé vibrait, tel un haut-parleur, au rythme de sons érotiques. Il fallait bien que quelque chose compense pour la misère de Kaosopolis.

Boris tenait Olivia tout près. Il ne voulait pas que les vendeurs d'organes s'approchent. Il les tenait à distance avec une moue digne d'un enfant qui dédaigne son repas. Il serrait aussi son Beretta dans la poche intérieure de son costume de lapin.

Olivia, tresses noires, yeux vert platine comme son papa, tressautait aux rythmes des enjambées de Boris qui se faisait tout d'un coup plus brusque. Une sorte de rage commençait à paraître dans le tressaillement de ses paupières. Ils allaient encore devoir passer la nuit dans le trou du lapin.

Après avoir ramassé quelques conserves et empaqueté des caleçons de rechange, Boris précéda Olivia le long de la pôle. Sa planque, quoique misérable, avait un avantage : c'était l'ancienne salle de jeux de la caserne de pompiers. Deux tables de billard, une cuisinette, un mini-bar improvisé, une table de poker et, à l'autre extrémité, un trou avec une pôle platine au milieu. La sortie d'urgence de Boris pendant la période mouvementée des 3 révolutions. En face, l'affiche néon du Moon Palace jetait en pleine nuit une douce lumière de fond de mer au milieu du désordre. Cette veilleuse compensait en partie pour les cris de jouissance qui remontait à intervalles réguliers du Dark Lolita. Boris s'y était habitué, mais il n'aimait pas qu'on casse les oreilles à sa petite. Aussi, lui avait-il confectionné une petite maison en bois, calfeutré et bien matelassé, à l'abri du son des balles et des spasmes orgiaques.

La pôle donnait sur la cour arrière. Le trou découpé autour du pôle était assez large pour un homme mince, et même un homme mince costumé en lapin, mais il ne s'agissait pas du trou du lapin. Le trou du lapin, comme aimait à le répéter Olivia, se trouvait plus bas encore et débouchait beaucoup plus loin, à l'abri des regards, des sons. C'était le repère des coquerelles et le royaume de la boîte de conserve. Il était grand temps de s'y réfugier avant que la nuit ne tombe à nouveau.

Boris précéda donc Olivia sur la pôle, puis elle le suivit. En attrapant la gamine, son cellulaire tomba de sa poche de lapin. Ses longues oreilles traînaient au sol lorsqu'il réalisa qu'il avait manqué un appel...

3 commentaires:

  1. Ah! Platine! Toujours en train de ressasser tes vieux échecs!

    Mes hommages à miss Olivia.

    RépondreSupprimer
  2. L'histoire de Kaosopolis se condense et se diffracte dans ce billet. Tant de lignes et de chemins de traverse à emprunter... Inspirant !

    RépondreSupprimer
  3. J'espère seulement ne pas avoir imposé une perspective trop définie. Vous en faites ce que vous voulez!

    RépondreSupprimer