mardi 23 février 2010

6. Allons-y, mon lapin!











Sur l'afficheur du portable à Boris, un texto de la reine nègre.

"Toit du MP! Help!"

- Merde!

Boris lâche un profond soupir, puis s'agenouille devant Olivia.

- Attends-moi ici. J'en ai pour deux minutes.

Le jour tombe. Un chat traverse la ruelle. Boris le suit le long du mur de brique qui mène sur le Boulevard des Capucins. Il jette un coup d'oeil sur le toit du Moon Palace. Désert. Le texto a été écrit il y a plus d'une heure.

- Merde!

Le lapin fait demi tour. Il empoigne doucement Olivia sous les bras, la soulève comme quand ça va pas et plante ses deux yeux de platine dans les siens.

- T' es prête?
- J' sais pas.
- Tu sais pas quoi?
- Pourquoi je devrais être prête.
- Bien sûr que tu sais.
- Peut-être bien.
- Alors?
- Allons-y, mon lapin.

Boris sort une Camel; Olivia sort son briquet. Elle l'allume; il aspire à fond. L'ombre de longues oreilles et une petite silhouette glissent le long du mur. Lentement. Déjà on sent que ça grouille autour. La noirceur attise la rapace. La faim rend louche. Malgré la chaleur suffocante, des fenêtres se ferment, des portes claquent. La chaîne d'un vélo grince et, de sa selle, un vieux clodo  avec ses provisions sur le guidon racle sa gorge et crache sans sourciller. Le M phosphorescent du Moon Palace dépasse encore de l'angle du mur, puis disparaît. Nerveux, Boris jette un dernier coup d'oeil sur le boulevard. Un petit nègre sur une borne fontaine se décrotte les ongles d'orteils sous le regard louche d'un mec qui vend de fausses lunettes Armani.

Derrière la caserne, non loin de la pôle de métal, une ruelle. Et à quelques pas de là, une bouche d'égout.

- C'est le trou, papa?
- Le trou est partout.
- Mais, c'est le trou?
- C'est ce qu'on va voir.
- Allons-y, mon lapin!

De grosses mains en peluche soulève le couvercle. Olivia se glisse à l'intérieur. Les marches sont longues. Elle ne voit pas le fond. Elle hésite. Boris s'en mêle un peu, il met le pied sur la première marche.

- Attends!
- Allez! Attention à ta tête.
- Ça tourne et ça descend.

Boris prend soin de ne pas laisser ses oreilles dépasser et il referme le couvercle.

- Il fait noir.
- Allume ta lampe de poche.
- Il est où le fond?

C'est là. Juste là. Et comme il dit ça, la main d'Olivia ne se referme pas sur la marche ou plutôt elle glisse, elle dérape, son corps tombe dans un creux et son cri résonne, ce sont des volutes de sons sans concordances, des spirales stridentes qui cillent et s'allongent tout en s'évanouissant et ce ne sont pas seulement les sons qui s'évanouissent mais les membres d'Olivia et ses yeux et ses mains sur le sol dans une sorte de petit vrombissement qui laisse Boris pour le moins secoué en haut de l'échelle.

- Olivia?!

jeudi 11 février 2010

5. La révolution des perruques bleues

Menée de front par Dounia, la stratège des révolutionnaires, les perruques bleues amorcèrent leur première attaque la veille du jour de l'An avec, à leur côté, le commandant Jimmy Jones et le sous-commandant Boris Platine. Inspirés par les attaques-éclair du 3e Reich, les révolutionnaire développèrent la Négro-Blitzkrieg. Il s'agit d'une attaque fourdroyante, rapide, sans concession, mais qui, contrairement à l'approche allemande, déploie ses forces non sur une ville, mais sur le domicile des hauts-dirigeants de Kao. Ces attaques avaient toujours lieu par des nuits sans lune (d'où l'ironie du nom du quartier-général, Moon Palace) sur plusieurs fronts en même temps, de façon à décupler l'effet et à créer la confusion, voire la stupeur chez l'ennemi. 

Fait important à noter: les organons étaient constitués de nègres volontaires, armés jusqu'aux dents et prêt à tout pour avoir un morceau de la chair de Kao. Pour eux, l'idéal consistait à la faire griller sur une broche comme un porc pour revivre les rites ancestraux du cannibalisme. Puisque les attaques avaient lieu en pleine noirceur, les nègres, pour se reconnaître au halo d'une lampe de poche, s'affublaient d'une perruque bleue.

Devenus fameux aujourd'hui, on retrouve encore ces symboles de la première révolution égarés ci et là dans les rues, sur les autoroutes. La plupart sont en piètre état, mais certains d'entre eux, retrouvés intacts, sont vendus à un prix exorbitant sur E-Bay.

De nos jours, les nègres constituent 83% de la population de Kaosopolis. Déchus et désenchantés par la défaite simultanée des 3 Révolutions, ils errent dans les rues, l'oeil hagard et les poings en sang. Ils ont promis de retrouver et de manger les entrailles des frères qui les ont trahi pour avoir une part du gâteau de Kao.

P.S. Aucun testament ne semble rendre à sa juste valeur l'ampleur du mouvement de contestation radical entrepris par les perruques bleues. Cependant, la rumeur veut que Jimmy Jones y ait annoté les stratagèmes, les plans, les pensées dans son journal intime. Cela reste à prouver.

4. Sur les traces de Kao

En octobre 2038, Kaosopolis assiégée par Nanopolis, une ville entièrement peuplée de robots miniatures, a été vaillamment défendue par Kao (voir photo sur la page principal du site), la jeune présidente japonaise de la plus grande société de produits de soins de beauté (en particulier les soins de la peau et des cheveux), mais aussi de produits de santé qui augmentent l'espérance de vie de sa clientèle d'au moins 15 ans. Le produit vendu à un prix exorbitant a non seulement créé la division la plus radicale entre la classe riche et la classe pauvre, elle a complètement enrayé la classe moyenne, provoquant du même coup un conglomérat de sociétés secrètes vouées à part entière à l'anéantissement de la présidente. Comme on le sait, la milice militaire archi-milliardaire de la présidente Kao, portée au pouvoir suite à sa foudroyante victoire contre les androïdes de Nanopolis, est d'une fidélité et d'une cruauté à tout rompre. Cette réalité explique les émeutes, les bombes, la terreur qui règne depuis.

Si le monde continue à vivre, c'est dans un état d'hébétude, de dégôut et d'angoisse permanentes. Voyez l'atmosphère autour du célèbre Moon Palace (ancien quartier général des premiers révolutionnaires antikaosopoliciens), aventurez-vous, si le coeur vous en dit dans le Nid, la fameuse planque de Dounia où l'on retrouve partout sur les murs les photos des révolutionnaires déchus, du lapin sous-commandant dans son fameux accoutrement et d'Olivia, son arme secrète, l'innocence du cyanure et le feu vert dans ses yeux de platine. Voyez aussi les images jaunies de la photographe qui a élévé son art à un degré de précision militaire. Même si les coins sont un peu jaunis et racornis, on peut admirer la composition, les effets de lumière sur les corps décrépis, le ramassis d"objets hétéroclites perdus dans la mégapole: oursons en peluche évidés, batterie de cuisine, livres éventrés, meubles Louis XIV, trombones, Bixis, vieux PC, coeurs de pommes et carcasses de poulet pourries. À vos pieds, vous trouverez sans doute ce qui reste des perruques bleues***, vous les verrez aussi, en plongée, si vous marchez jusqu'à la fenêtre, telles de luminescentes méduses glissant le long des ruelles et des autoroutes au gré des saccades de vent et de pluie, memorabilia fantomatique d'une époque déjà révolue.