mercredi 17 mars 2010

7. Derrière le grand écran

Bas de soie enfoncé dans la bouche, mains ligotées, la tête haute malgré tout, la reine. Légère dans ses stilettos, le regard voilé derrière des lentilles Armani, un pistolet sur la tempe.

La cage d'escalier descend en spirale et s'arrête au rez-de-chaussée, derrière le grand écran du Moon Palace.

- Attention à votre tête, ça descend et ça tourne, dit le Gros.
- Ça descend raide, reprend le Petit.
- C'est quoi cette manie de me vouvoyer, dit la reine. Vous en avez plus pour longtemps. Boris va vous retrouver. Il va vous mater pour de bon.

Des coups de talon retentissent. En staccato. Gros plan sur les lèvres de la reine: moue rébarbative.

Vu de dos, l'écran géant ne ressemble pas moins à un écran géant. Les ombres sont denses, l'espace restreint, on étouffe. Des tas de bobines de film traînent ci et là. Des mannequins désarticulés. Des restants de pop corn. Un paquet de Trident à la cannelle. Des jarretelles. Un fouet. Une seringue. Des revues déchiquetées. Une paire de ciseau. Aux murs de vieilles affiches de film : Casablanca, Blow up, Satyricon, Alphaville, Moloch... Vestiges d'une autre époque. Au fond, la lueur d'une lucarne invisible éclaire un vieux sofa entièrement recouvert de perruques bleues.

Le Gros projette la reine sur le sofa.

- Connard, dit la reine.
- Salope, dit le Petit.

Le portable du Gros retentit.

- Allo, dit le Gros.
- C'est qui? dit le Petit.
- Non, dit le Gros. Non, non. Elles est ici. Avec nous.
- C'est le gorillle de Kao, dit le Petit?
- Platine? Pas de nouvelles. Elle n'avait pas de portable, non, dit le Gros.
- Passe-moi-le, dit le Petit.
- Ok. Dans une heure, dit le Gros.

Le Gros ferme son portable.

- T'as raccroché, dit le Petit.
- Ta gueule, dit le Gros.

La reine dans les perruques fulmine en silence. Elle revoit son frère sur la place publique. La balle qui lui transperce les méninges. Le silence qui s'ensuit. La voici à son tour à la merci de l'ennemi, désarmée. Avec ou sans fusil, c'est du pareil au même. Elle n'a jamais appris à tirer. Tout juste bonne à se déhancher.

Si je m'en sors, pense-t-elle, je dois me planquer pour un temps, revoir mon approche, repenser ma stratégie à froid.

Et Boris avec tout cela qui ne répond pas.

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