dimanche 28 mars 2010

8. La chute d'Olivia



Durant sa chute, Olivia n'arrivait pas à se concentrer sur sa journée, elle ne parvenait pas à remonter le fil du temps qui l'avait menée à une fin si bête: un plongeon dans le vide d'un égout. Elle revoyait cependant la main de peluche de son père et ses oreilles gris-rose qui pendillaient, alors qu'elle dégringolait toujours plus bas, vers le centre de la terre, un escalier en spirale qui fuyait sous ses yeux et la peur qui l'étreignait tellement qu'elle se mit à pleurnicher. 

Alors qu'elle dégringolait, des pensées prises dans le ressac des larmes semblaient fuir vers la surface à une vitesse proportionnelle à sa chute. Elle revit sa mère, la reine nègre, appuyée contre le rebord de la fenêtre de la caserne, ses yeux vert platine comme elle se perdant dans la pénombre du couchant. Il lui sembla en fait voir une myriade de yeux verts agglutinés aux étroits murs de briques noires qui l'entouraient dans sa chute. Bientôt, les yeux se mirent à flotter autour d'elle; ils avaient une texture spongieuse, incandescente, amorphe. Ils clignotaient aléatoirement comme une ritournelle dont les notes, au lieu de renvoyer des sons, émettaient des signaux lumineux.


Cette valse électrique opéra un charme sur Olivia qui se sentit plus lègère. Elle tenta d'attraper un oeil, mais une lueur bleue argentée lui extirpa un cri. Elle ferma les yeux et les rouvrit, puis les referma aussitôt: sa tête entrait en collision avec une surface visqueuse, froide qui fit un plouf répercuté en échos jusqu'aux longues oreilles de Boris, là-haut.

Lorsque Olivia émergea, elle entendit:


- le couinement d'une famille de rats
- le clapotement de l'eau contre une paroi
- les cris désemparés d'un lapin en peluche


Elle se frotta les yeux, poussa un soupir de soulagement et fit quelques brasses. Entre ses jambes virevoltaient des nuées de méduses dont l'ombre se reflétait sur les murs. Elle tenta de se hisser sur le rebord du bassin, mais se retrouva à nouveau au fond de l'eau. Elle fouilla dans la poche de ses kakis et mit la main sur son couteau suisse, l'ouvrit, transperça la structure. La barbotte se retrouva assise au fond d'un bocal en plastique, grelottante et légèrement agacée. 

  


mercredi 17 mars 2010

7. Derrière le grand écran

Bas de soie enfoncé dans la bouche, mains ligotées, la tête haute malgré tout, la reine. Légère dans ses stilettos, le regard voilé derrière des lentilles Armani, un pistolet sur la tempe.

La cage d'escalier descend en spirale et s'arrête au rez-de-chaussée, derrière le grand écran du Moon Palace.

- Attention à votre tête, ça descend et ça tourne, dit le Gros.
- Ça descend raide, reprend le Petit.
- C'est quoi cette manie de me vouvoyer, dit la reine. Vous en avez plus pour longtemps. Boris va vous retrouver. Il va vous mater pour de bon.

Des coups de talon retentissent. En staccato. Gros plan sur les lèvres de la reine: moue rébarbative.

Vu de dos, l'écran géant ne ressemble pas moins à un écran géant. Les ombres sont denses, l'espace restreint, on étouffe. Des tas de bobines de film traînent ci et là. Des mannequins désarticulés. Des restants de pop corn. Un paquet de Trident à la cannelle. Des jarretelles. Un fouet. Une seringue. Des revues déchiquetées. Une paire de ciseau. Aux murs de vieilles affiches de film : Casablanca, Blow up, Satyricon, Alphaville, Moloch... Vestiges d'une autre époque. Au fond, la lueur d'une lucarne invisible éclaire un vieux sofa entièrement recouvert de perruques bleues.

Le Gros projette la reine sur le sofa.

- Connard, dit la reine.
- Salope, dit le Petit.

Le portable du Gros retentit.

- Allo, dit le Gros.
- C'est qui? dit le Petit.
- Non, dit le Gros. Non, non. Elles est ici. Avec nous.
- C'est le gorillle de Kao, dit le Petit?
- Platine? Pas de nouvelles. Elle n'avait pas de portable, non, dit le Gros.
- Passe-moi-le, dit le Petit.
- Ok. Dans une heure, dit le Gros.

Le Gros ferme son portable.

- T'as raccroché, dit le Petit.
- Ta gueule, dit le Gros.

La reine dans les perruques fulmine en silence. Elle revoit son frère sur la place publique. La balle qui lui transperce les méninges. Le silence qui s'ensuit. La voici à son tour à la merci de l'ennemi, désarmée. Avec ou sans fusil, c'est du pareil au même. Elle n'a jamais appris à tirer. Tout juste bonne à se déhancher.

Si je m'en sors, pense-t-elle, je dois me planquer pour un temps, revoir mon approche, repenser ma stratégie à froid.

Et Boris avec tout cela qui ne répond pas.